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Texte Libre

Bonjour à vous, amis bloggeurs. Voici une porte ouverte sur Haïti, pays dans lequel nous avons vécu et travaillé pendant près de deux ans. Nous habitions à Pérodin, petit village au coeur de la chaîne des montagnes noires, appelée aussi chaîne des Cahos, dans le département de l'Artibonite.

En octobre 2005, nous atterrissions à Port-au-Prince. Nous avions été embauchés par l'association Inter Aide en tant que responsables d'un programme de scolarisation primaire dans une zone "rurale et isolée", selon les termes de l'annonce...

Un an plus tard, revenus dans les mornes haïtiennes et heureux propriétaire d'un appareil photo numérique, nous avions désormais la possibilité de vous faire découvrir en images notre cadre de vie.

C'est ainsi qu'est né le blog.

De nouveau sur le territoire français depuis le mois d'août 2007, nos chemins se sont séparés. Si bien que davantage qu'un blog, cet espace est désormais plus un aperçu d'une tranche de vie.
En espérant que sa visite vous plaise...
12 novembre 2007 1 12 /11 /novembre /2007 12:09

Dans « Les Prédateurs », un téléfilm de Lucas Belvaux sur Canal +, Nicole Garcia incarne Eva Joly, la juge qui a instruit le dossier Elf. Télérama a organisé la rencontre des deux femmes à Oslo. Extraits de l’interview :

Télérama : Dans votre dernier livre, vous écrivez : « une France digne de son héritage de 1789 est incompatible avec la Françafrique. Ce qu’une génération a fait, une autre peut le défaire. » Croyez-vous que la génération Sarkozy puisse se défaire d’un héritage que ni Mitterrand ni Chirac n’ont touché ? 

Éva Joly : Je pense que le film peut y contribuer. Il est temps de comprendre que le passif de la France sur le continent africain n’a rien à envier à l’impérialisme américain en Amérique latine ou au Moyen Orient. Une vision moderne du monde impose que nous modifiions nos rapports à l’Afrique, que les tête-à-tête Chirac-Bongo que l’on voit dans le film n’existe plus. J’espère que Nicolas Sarkozy aura envie de mener une autre politique et je le crédite d’en comprendre la nécessité, mais pour l’instant il n’a pris aucune distance avec celles de ses prédécesseurs. Continuer de soutenir des dictatures à bout de souffle, c’est pour la France se tenir hors du renouveau africain, hors de l’histoire. J’ai, néanmoins, espoir que cette situation évolue parce que les Français le veulent.

Télérama : Dans un discours devant le Medef, Nicolas Sarkozy a appelé à dépénaliser le droit des affaires, vous y êtes farouchement opposée… 

Éva Joly : Cette perspective me choque profondément. Penser qu’une amende ou une peine civile puisse remplacer la peur de la prison est illusoire. Je ne comprends pas un pays qui responsabilise pénalement ses enfants et ses aliénés et déresponsabilise son élite économique.

Télérama n°3014, du mercredi 17 octobre 2007, « Elf, une affaire, deux femmes », pp. 26-30.
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14 octobre 2007 7 14 /10 /octobre /2007 14:18

« Moi, ça me gêne beaucoup cette histoire de lingettes désinfectantes…

Toujours percevoir l’autre comme un sac de microbes. Toujours regarder ses ongles en lui serrant la main. Toujours se méfier. Toujours s’éloigner de la rampe. Toujours mettre ses gosses en garde.

Touche pas c’est sale.

Ôte tes mains de là.

Ne partage pas.

Ne va pas dans la rue.

Ne t’assieds pas par terre ou je t’en colle une ! 

 

Toujours se laver les mains. Toujours se laver la bouche. Toujours craindre les lieux publics. Toujours éviter les toilettes pour les dames. Toujours faire la bise sans y poser les lèvres. Toujours juger les mères à la couleur des oreilles de leurs enfants.

Toujours.

Toujours.

Toujours juger.

 

Ça ne sent pas bon du tout ce truc-là. Pas bon du tout. D’ailleurs, dans la famille de Nathalie, on a vite fait de se déboutonner au milieu des repas et de parler des Arabes.

Le père de Nathalie, il dit « les crouilles ».

Il dit : « Je paye des impôts pour que les crouilles fassent dix gamins. »

Il dit : « J’te foutrais ça dans un bateau, et je te torpillerais toute cette vermine, moi ! »

Il aime bien dire ça aussi : « La France est un pays d’assistés et de bons à rien. Les Français sont tous des cons. »

(…)

Je pense à un déjeuner en particulier… Je n’aime pas m’en souvenir…

(…)

J’ai honte en pensant à ce déjeuner. J’ai honte et je ne suis pas la seule.

(…)

J’ai honte car nous nous sommes écrasés ce jour-là.

Nous nous sommes encore écrasés. Nous n’avons pas relevé les propos de ce monsieur gras qui ne verra jamais plus loin que le bout de sa clôture électrique.

Nous ne l’avons pas contredit. Nous ne nous sommes pas levés de table. Nous avons continuer à mastiquer lentement nos choux à la crème en nous contentant de penser que ce type était un connard. En nous contentant de nous draper dans notre minuscule dignité. Pauvres de nous. Si lâches, si lâches…

 

Pourquoi sommes-nous ainsi tous les quatre ? Pourquoi les gens qui crient plus fort que les autres nous impressionnent-ils ? Pourquoi les gens agressifs nous font-ils perdre nos moyens ?

Qu’est-ce qui ne va pas chez nous ? Où s’arrête la bonne éducation et où commence la veulerie ?

 

Nous en avons souvent parlé. Nous avons souvent battu notre coulpe devant une pizza trop cuite et quelques bières. Nous n’avons besoin de personne pour nous appuyer sur la tête. Nous sommes assez grands pour la courber tout seuls et, quel que soit le nombre de cannettes vides, nous en arrivons toujours à la même conclusion. Que si nous sommes ainsi, silencieux et déterminés mais toujours impuissants face aux cons, c’est justement parce que nous n’avons pas la moindre parcelle de confiance en nous. Nous ne nous aimons pas.

Pas personnellement, j’entends.

Nous ne nous accordons pas tellement d’importance.

Pas assez pour postillonner sur le Lacoste du père Molineux. Pas assez pour croire une seconde que nos cris d’orfraie pourraient infléchir la courbe de ses pensées. Pas assez pour espérer que nos mouvements de dégoût, nos serviettes jetées sur la table et nos chaises renversées puissent changer de quelque manière que ce soit la marche du monde.

Qu’aurait-il pensé le bon docteur en nous regardant nous agiter ainsi et quitter son logis la tête haute ? Il aurait simplement saoulé sa femme toute la soirée en répétant :

« Quels petits cons. Quels petits cons. Non mais vraiment, quels petits cons… »

Pourquoi faire subir cela à cette pauvre femme ?

Qui sommes-nous pour gâcher la fête de vingt personnes ? 

 

On peut aussi dire que ce n’est pas de la lâcheté. On peut aussi admettre que c’est de la sagesse. Admettre que nous savons prendre du recul. Admettre que nous n’aimons pas mettre le pied dans la merde. Admettre que nous sommes moins bruyants que tous ces gens qui moulinent sans cesse et n’agissent nulle part.

(…)

On se rappelle aussi que tout ça, cette apparente indifférence, cette discrétion, cette faiblesse aussi, c’est la faute de nos parents.

De leur faute ou grâce à eux.

Parce que ce sont eux qui nous ont appris les livres et la musique. Ce sont eux qui nous ont parlé d’autres choses et qui nous ont forcé à voir autrement, à voir plus haut, plus loin. Mais ce sont eux aussi qui ont oublié de nous donner la confiance. Ils pensaient que ça viendraient tout seul, que nous étions un peu doués pour la vie et que les compliments0 nous gâcheraient l’ego.

Raté.

Ça n’est jamais venu.

Maintenant nous sommes là. Comme des niais. Silencieux face aux excités. Avec nos coups d’éclat manqués et notre vague envie de vomir. »  

 

Anna Gavalda, L’échappée belle, 2001, extraits pp. 25-34.
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