Mercredi, en allant visiter une école dans le Bas-Cahos, nous nous arrêtons pour prendre en roue libre (en stop) deux de nos voisins de Bel Air. Il sont descendus à Petite Rivière de l’Artibonite, LA ville du coin, à quelques six heures de marche, pour acheter des garnitures pour un cercueil. L’un d’entre eux a déjà assemblé les planches, à la demande d’une famille dont l’un des siens est très malade. « L’ap mouri » (il va mourir). Moi, naïve : « Mais peut-être ne va-t-il pas mourir ? » Eux, sûrs d’eux, comme on déclame une évidence : « Il va mourir ».
Le même jour, alors que nous grimpions une pente raide pour nous rendre à l’école de Grand Rac, l’animateur communautaire qui nous accompagnait nous invitait à la prudence. Par chez lui, la veille, quelqu’un est tombé : son pied a roulé sur une roche, il a dévalé la pente, sa tête s’est fendue, il est mort.
En remontant la piste le surlendemain, vendredi, nous « donnons une roue libre » à quatre femmes. Je connais assez bien Cléane, l’une d’entre elles, elle enseigne à l’école de Veillon et était graduée du centre d’application couture l’année dernière, classe dont j’étais la marraine générale. (Elle a d’ailleurs gardé l’habitude de m’appeler « marraine ».) Je fais remarquer à David que nous sommes vendredi, jour d’école donc, et qu’une enseignante est dans notre voiture au lieu d’être en classe… Nous discutons avec Cléane, elle nous apprend qu’elle est descendue pour les funérailles de sa tante.
Il y a une quinzaine de jours, un gros orage a éclaté à Bois Carré, à côté de là où nous stationnons la voiture, soit à une heure de marche de Pérodin. Deux femmes ont été frappées par la foudre alors qu’elles revenaient du marché et sont décédées. Il s’agissait de deux belles-sœurs, habitant la même cour. L’une laisse un enfant, l’autre cinq. Dans les Cahos, on a beaucoup parlé de ces morts, accidentelles, justement parce qu’elles le sont. Comme me le faisait remarquer Élor, lorsque quelqu’un est couché, malade, on s’attend à son décès. Quand les gens ne sont pas souffrants, leur disparition est plus difficile à expliquer, à accepter.
L’espérance de vie en Haïti est de 50 ans environ. Toutes les semaines, quelqu’un de notre entourage perd un proche. Aujourd’hui, on nous a annoncé le décès du père d’Athéus, animateur communautaire avec lequel nous travaillons. Il arrive que les gens meurent de vieillesse, le père d’Athéus aurait eu plus de 90 ans paraît-il. Mais, ce n’est vraiment pas le cas le plus courant...
La vie en Haïti, dans les Cahos, c’est aussi, pour nous, apprendre à côtoyer la mort de manière quasi-quotidienne.